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Les grandes batailles de la critique

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Les grandes batailles de la critique Empty Les grandes batailles de la critique

Message par Alouqua Sam 21 Jan - 16:08

Intouchables, un film "raciste" ? Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, "populiste" ? Ou encore : les critiques sont-ils des "assassins" ? Petit tour d'horizon des plus grandes querelles autour de la critique de cinéma, de la Nouvelle Vague à aujourd'hui en passant par les scandales du Festival de Cannes.
Dossier constitué par Bruno Carmelo

Sommaire :

Les critiques contre Les films

Variety et Libération vs. "Intouchables" (2011)
La presse US vs. "The Tree of Life" (2011)
La critique vs. Gaspar Noé (2009)
Roger Ebert vs. "The Brown Bunny" (2003)
Serge Kaganski vs. "Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain" (2001)
Alain Finkielkraut vs. Emir Kusturica (1995)
La critique vs. "Sous le soleil de Satan" (1987)
La critique vs. "L'As des As" (1982)
La critique vs. "La grande bouffe" (1973)
François Truffaut vs. Le "cinéma de papa" (1954)

Les réalisateurs contre Les critiques

David Fincher et Scott Rudin vs. (Les projections de) presse (2011)
Luc Besson vs. Brazil (2003)
Patrice Leconte vs. La critique (1999)
François Dupeyron vs. Télérama (1999)
Les réalisateurs vs. Les excès de la critique (1999)

Les critiques contre Les critiques

Michel Ciment vs. Le "Triangle des Bermudes" (1999)
Jean-Luc Godard vs. François Truffaut (1973)
Cahiers du Cinéma vs. Positif (1954)

Variety et Libération vs. "Intouchables"

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« Intouchables pourrait séduire un public qui ne réfléchit pas trop, le tout dans une atmosphère détestable »
(Variety)

2011 : Au moment de la publication de ce dossier, Intouchables vient de passer la barre des 18 millions d’entrées, et se trouve au pied du podium des plus gros cartons de tous les temps au box-office français - lui reste à dépasser les 18,3 millions d'entrées de Blanche-Neige pour s'emparer de cette troisième place. Contre l’unanimité (ou presque : voir la revue de presse) des critiques et des spectateurs, quelques médias se sont toutefois démarqués (voir ici) en France et aux États-Unis par leurs réactions virulentes :

« Bien qu'ils ne soient pas connus pour leur subtilité, les co-réalisateurs et co-scénaristes Eric Toledano et Olivier Nakache n'ont jamais produit un film aussi choquant que "Intouchables", qui met en avant un racisme digne de l'Oncle Tom qui a, on l'espère, définitivement disparu des écrans américains […] Driss est traité comme un singe (avec toutes les connotations racistes qui vont avec ce terme) se donnant en spectacle, apprenant au gars blanc coincé comment se laisser aller, en remplaçant Vivaldi par Boogie Wonderland [...]". L'article évoque ainsi "un rôle qui n'est pas bien loin du cliché de l'esclave d'antan, qui amuse son maître tout en représentant tous les stéréotypes de classe et de race… […] Intouchables pourrait séduire un public qui ne réfléchit pas trop, le tout dans une atmosphère détestable. »
Jay Weissberg, Variety

« Osons cependant que le succès du film est le fruit d’un conte de fées cauchemardesque : bienvenue dans un monde sans. Sans conflits sociaux, sans effet de groupe, sans modernité, sans crise. A ce titre, en cet automne, il est LE film de la crise, comme si la paralysie d’un des deux personnages principaux n’était pas seulement celle du film, mais celle d’un pays immobilisé et de citoyens impotents à qui il ne resterait plus que leurs beaux yeux pour rire et pleurer. Le beau et plat pays des Bisounours raconté par un film terriblement gentil. […] On rit, on pleure, que demander de plus ? Plus, toujours plus, justement. La dictature de l’émotion comme cache-misère de l’absence totale de pensée. »
Gérard Lefort, Didier Péron et Bruno Icher, Libération

La presse US vs. "The Tree of Life"

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« The Tree of Life est un économiseur d’écran, une carte postale de Hallmark. »
(Sam Wasson, LA Weekly)

2011 : Lors de sa projection au festival de Cannes, The Tree of Life, réalisé par Terrence Malick, a été accueilli très chaleureusement par la grande majorité de la presse. Pourtant, lorsque le film a reçu la Palme d’Or, quelques irréductibles se sont insurgés. Et pour se faire entendre, certains critiques ont décidé de crier plus fort que tous les admirateurs du film… A noter que les critiques français ont été beaucoup plus cléments avec le film (voir la revue de presse) que les Américains (voir ici, en anglais), de sorte que la majeure partie de la polémique se trouve de l’autre côté de l’Atlantique :

« C’est quelque chose de très intime enveloppé dans l’emballage le plus grandiose et pompeux possible. C’est comme les romans de James Michener, dans lequel un feuilleton quelconque est entouré de 300 pages d’errata historiques qui remontent presque à l’amibe dont descendent les protagonistes. Sauf que Malick – loué soit-il – dépeint en effet l’amibe. »
Dennis Harvey, San Francisco Bay Guardian

« The Tree of Life est comme une plaidoirie pseudo-métaphysique sur fond de Berlioz. Ne laissez pas les dinosaures vous tromper. Le dernier Malick est un économiseur d’écran, une carte postale de Hallmark, un test de Rorschach vaste seulement par son indétermination, comme un maître Zen dont on est persuadé qu'il a tout dit quand il n'a rien dit. »
Sam Wasson, LA Weekly

« C’est comme regarder un magicien faire le même tour en boucle pendant 138 minutes. Même si le tour est surprenant, quand il est répété sans cesse, il perd de son intérêt. »
Matt Singer, IFC

La critique française vs. Gaspar Noé

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« Amusez-vous à deviner dans quel trou la caméra de Gaspar Noé va finir par plonger. Cuvette des WC, bouche d'égout ou vagin, vous avez le choix. »
(Samuel Douhaire, Télérama)

2009 : Gaspar Noé présente au Festival de Cannes Enter the Void, sorte d’expérience psychédélique d'une durée de 2h30. Les critiques sont alors divisés, et après les polémiques autour d’Irréversible et de Seul contre tous, les journalistes attaquent aussi bien le film que le réalisateur.

Chez Télérama, Samuel Douhaire décide d'aider le spectateur à déjouer l'ennui du long métrage : « Pour passer le temps […], amusez-vous à deviner dans quel trou la caméra volante de Gaspar Noé va finir par plonger. Cuvette des WC, bouche d'égout ou vagin, vous avez le choix ». Les Irockuptibles affirment quant à eux que « Gaspar Noé adore se faire détester, [ce qu']il réussit… », et Première ironise : « Ce n’est pas sa référence au Livre des Morts Tibétain dont il prétend s’être inspiré […] qui l’aide à prendre de la hauteur ». Le Figaro détourne, comme beaucoup de publications, le mot « vide » du titre : « Il faut être sous amphétamines pour apprécier quoi que ce soit [du film]. Soudain le vide nous plonge effectivement dans un vide sidéral… »
Irréversible, également à l'origine d'une polémique sur la Croisette en 2002 et notamment critiqué pour sa scène de viol de neuf minutes, avait à l'époque été considéré comme « abject » par la revue Positif. Pour Le Figaro, il s'agissait alors d'« un petit pas pour le cinéma, mais un grand pas pour la barbarie » . Quant au magazine Télé Obs Cinéma, il avait considéré que « voir, ici, est une forme de complicité. Il faut sortir. De la salle, du film. Le plus tôt sera le mieux. »

Pour toute réponse, Gaspar Noé réagit avec un certain cynisme dans un entretien publié par le magazine Première : « Ça fait partie du plaisir de faire des films de se faire insulter. […] Souvent les mauvaises critiques sont plus jouissives à lire que les bonnes. […] A l’époque de Seul contre tous, j’avais récupéré toutes les critiques négatives, et j’avais fait un truc encore plus vicieux : j’avais pris plein d’articles positifs, et je récupérais juste le mot qui ressemblait à un truc négatif. »

Roger Ebert vs. "The Brown Bunny"

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« Ma coloscopie a été plus amusante que ce film. »
(Roger Ebert)

2003 : Le réalisateur Vincent Gallo présente au Festival de Cannes le long-métrage Brown Bunny et déclenche la polémique avec une scène de fellation non-simulée entre Gallo, également acteur du film, et l’actrice Chloë Sevigny. Le film est hué pendant la projection, des centaines de personnes se lèvent et partent avant la fin, dont le très influent critique américain Roger Ebert (du Chicago Sun-Times), qui déclare aux journalistes à la sortie de la salle qu’il s’agit du pire film qu’il ait vu jusqu'alors :

« Imaginez 90 minutes ennuyeuses d’un homme qui conduit [...]. Imaginez de longues prises à travers les vitres de la voiture, au fur et à mesure que des insectes s’y écrasent. Imaginez non pas une mais deux scènes dans lesquelles il s’arrête pour acheter de l’essence. […] Imaginez un film si incroyablement chiant qu'au moment où le personnage sort de son van pour changer de chemise, il y a eu des applaudissements dans la salle. »

Par voie de presse, Gallo traite Ebert de « connard obèse », ce à quoi Ebert répond que lui pourra maigrir, mais que Gallo sera toujours le réalisateur de Brown Bunny. Le critique américain publie par la suite un texte dans lequel il explique que "[sa] coloscopie a été plus amusante que [le] film". Gallo réplique alors une nouvelle fois, lui promettant un cancer du colon – lequel est d'ailleurs diagnostiqué à Ebert quelques semaines plus tard...

Lorsque le film sort en salles, 30 des 120 minutes de la version présentée à Cannes ont été coupées au montage par Vincent Gallo. Roger Ebert publie alors une nouvelle critique, cette fois-ci très élogieuse.

Serge Kaganski vs. "Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain"

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« Si le démagogue de la Trinité-sur-Mer cherchait un clip pour illustrer ses discours, Amélie Poulain serait le candidat idéal. »
(Serge Kaganski)

2001 : Alors que Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain connaissait un succès incroyable en France (près de huit millions d’entrées) et que le film était très bien reçu à l’étranger, le critique Serge Kaganski (Les Inrockuptibles) exprimait toute sa colère envers une œuvre qu’il juge réactionnaire voire proche des idées de l’ancien président du Front National, Jean-Marie Le Pen :

« Jeunet se contente de filmer le peuple à ras de cliché, parce que c'est joli, rigolo, sympa et pittoresque. Avant d'être un film populaire, Amélie Poulain est surtout un grand film populiste. C'est tellement vrai et frappé du sceau de l'évidence que ça n'a pas échappé à nos hommes politiques de tous bords, surtout aux deux futurs candidats présidentiels qui n'ont pas loupé l'occasion de s'accrocher aux branches du succès du film. (…) Si le démagogue de La Trinité-sur-Mer [Jean-Marie Le Pen] cherchait un clip pour illustrer ses discours, promouvoir sa vision du peuple et son idée de la France, il me semble qu'Amélie Poulain serait le candidat idéal. »
Serge Kaganski, "Amélie, pas jolie", Les Inrockuptibles

Le débat a fait couler beaucoup d’encre. Suite aux centaines de réactions virulentes des spectateurs et lecteurs de la revue, le critique est revenu sur la mention à Jean-Marie Le Pen, sans toutefois modifier le fond de sa pensée :

« Si c'était à refaire, le ton serait moins virulent, et j'ôterais le dernier paragraphe : la référence à Le Pen était sans doute une grosse bourde, d'abord parce qu'elle a refait parler d'un homme politique oublié, puis parce que cette phrase a été le chiffon brun sur lequel beaucoup ont foncé, occultant plus ou moins le reste du texte. Mais quand au fond, je ne change pas une virgule de mon analyse et je maintiens mes considérations esthétique, éthique et idéologique sur le film. »

Alain Finkielkraut vs. Emir Kusturica

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« Ce que Kusturica a mis en musique et en images, c'est le discours même que tiennent les assassins. »
(Alain Finkielkraut sur Underground)

1995 : Suite au succès critique du film Underground, version polémique de l'histoire de l'ex-Yougoslavie réalisée par Emir Kusturica, le philosophe et essayiste français Alain Finkielkraut publie dans le journal Le Monde une tribune intitulée « L’imposture Kusturica », dans lequel il affirme :

« Ce que Kusturica a mis en musique et en images, c'est le discours même que tiennent les assassins pour convaincre et pour se convaincre qu'ils sont en état de légitime défense car ils ont affaire à un ennemi tout-puissant. [...] Il a porté aux nues la version rock, postmoderne, décoiffante, branchée, américanisée, et tournée à Belgrade, de la propagande serbe la plus radoteuse et la plus mensongère. Le diable lui-même n'aurait pu concevoir un aussi cruel outrage à la Bosnie ni un épilogue aussi grotesque à la frivolité et à l'incompétence occidentales. »

Dans Le Point, Bernard Henri-Levy soutient Finkielkraut, tout en admettant ne pas avoir vu le film. Puis, c’est au tour de Kusturica de répondre au Monde :

« Je ne comprends toujours pas que Le Monde ait publié le texte d'un individu qui n'avait pas vu mon film, sans que personne ait cru bon de le signaler. S'il y a eu une volonté délibérée de me détruire par l'insinuation, l'amalgame et le colportage des rumeurs qui courent à mon sujet, je me propose d'aider vos lecteurs à forger un document beaucoup plus efficace, et surtout fondé sur une connaissance du ” terrain ”, telle que seul un cinéaste qui a vécu l'essentiel de sa vie dans un régime communiste où délation et manipulation étaient devenues un art en soi peut l'acquérir. »

Finkielkraut est alors contraint d’admettre sur les pages de Libération qu’il n’avait pas non plus regardé le film, fait qu’il s’efforce de minimiser : « Il n'était pas nécessaire, autrefois, d'avoir vu Le Don paisible ou Le Triomphe de la volonté pour savoir qu'on n'avait pas affaire à des œuvres respectivement antisoviétiques et antinazies. » Il sera tout de même allé voir le film, qu’il qualifie ensuite de « propagande onirique », pour conclure que Kusturica « convertit la boue en or et un chapelet de manipulation grossière en gerbe de paradoxes éblouissants ». Le cinéaste ne présente pas de réponse.

(Un dossier complet sur cette polémique est disponible sur le site Kustu.com)

Les critiques vs. Sous le soleil de Satan

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« Si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. »
(Maurice Pialat)

1987 : Le Festival de Cannes compte parmi sa sélection de futurs classiques du cinéma comme Les Ailes du désir de Wim Wenders, Les Yeux noirs de Nikita Mikhalkov et Le Ventre de l'architecte de Peter Greenaway. La France présente quant à elle Sous le soleil de Satan, un film polémique réalisé par Maurice Pialat. Au lendemain de la projection du film, les critiques sont en effet désastreuses : l’œuvre est considérée comme académique, prétentieuse, et même « [la] pire film du festival ».

Gérard Depardieu va jusqu'à demander à l’attaché de presse de retirer le film de la compétition, tandis que Pialat réclame à son producteur l'envoi d'une lettre à la direction du festival pour dénoncer « la pourriture du système ». Alors que Les Yeux noirs était donné favori pour la récompense, le cinéaste russe Elem Klimov, membre du jury, menace : « Si cette ordure, ce salopard de Mikhalkov est récompensé, je me retire du jury et ferai connaître ma décision avec éclat ».

Finalement, lors de la cérémonie de remise de prix, c’est Sous le soleil de Satan qui remporte la Palme d’Or, à l’unanimité. Le prix est attribué sous les huées violentes du public présent à la cérémonie. Pialat, cynique, répond à la foule, le poing levé :

« Je ne vais pas faillir à ma réputation : je suis surtout content ce soir pour tous les cris et les sifflets que vous m'adressez. Et si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. »

Les critiques vs. "L'As des As"

« Gérard Oury doit-il rougir de honte d’avoir "préconçu son film pour le succès" ? Jacques Demy a-t-il préconçu le sien pour l'échec ? »
(Jean-Paul Belmondo)

1982 : Deux films français sortent la même semaine en salles : L'As des As, réalisé par Gérard Oury avec Jean-Paul Belmondo en vedette, et Une chambre en ville, réalisé par Jacques Demy. Alors que le premier devient un énorme succès populaire, cumulant 463 000 entrées la première semaine d'exploitation et devenant ensuite le deuxième plus grand succès français à l’époque, avec 5,5 millions d’entrées, le second connaît un échec cuisant, se plaçant quatorzième au box-office lors de sa sortie, avec seulement 20 000 spectateurs pour sa première semaine en salles.

Le critique de cinéma Gérard Lefort déclenche alors une polémique avec l’article « Pour Demy » publié dans Libération, dans lequel il attribue la responsabilité de l’échec d’Une chambre en ville au succès de L' As des As, qui aurait monopolisé l'attention du public. Gérard Vaugeois encourage ensuite 23 autres critiques à rejoindre la cause, en publiant sur Télérama la lettre commune « Pourquoi nous louons Une chambre en ville », sorte de manifeste dénonçant le « détournement de spectateurs » et « l’écrasement informatif et publicitaire des films préconçus pour le succès ».

Jean-Paul Belmondo réagit aussitôt avec un texte intitulé « Lettre ouverte aux coupeurs de tête » : « Gérard Oury doit-il rougir de honte d’avoir "préconçu son film pour le succès" ? Jacques Demy a-t-il préconçu le sien pour l’échec ? Lorsqu’en 1974 j’ai produit Stavisky d’Alain Resnais et que le film n’a fait que 375 000 entrées, je n’ai pas pleurniché en accusant James Bond de m’avoir volé mes spectateurs. […] Oublions donc cette agitation stérile et gardons seulement en mémoire cette phrase de Bernanos : "Attention, les ratés ne vous rateront pas !". »

Mis à part une lettre discrète et embarrassée de Jacques Demy dans les colonnes du Monde pour remercier les critiques, aucun des deux metteurs en scène ne donna suite à la polémique.

Les critiques vs. La Grande bouffe

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« Le Festival a connu sa journée la plus dégradante et la France sa plus sinistre humiliation »
(Europe 1)

1973 : La France est représentée au Festival de Cannes par deux films on ne peut plus polémiques : La Grande bouffe, réalisé par Marco Ferreri, dans lequel un groupe de personnes s’enferme dans une maison pour commettre un « suicide gastronomique », et La Maman et la Putain, sur le désir et l'infidélité, réalisé par Jean Eustache.

La critique française s’inquiète alors de la production nationale, notamment à cause de La Grande bouffe, qui suscite une réaction générale habilement rapportée par un reporter du JT du soir : « Voici quelques qualificatifs que j’ai relevés dans une seule dépêche à propos du film La Grande Bouffe de Marco Ferreri, présenté par la France : ubuesque, rabelaisien, nihiliste, scatologique, pornographique, trivial, insoutenable et cruel. Ça devrait être un gros succès commercial ».

Le journal d'extrême droite Minute décrit les auteurs du film comme « des terroristes de la culture », Le Figaro parle d’un « Oscar mondial de la vulgarité », L’Humanité critique « la minceur du propos », la chaîne Europe 1 affirme que « le Festival a connu sa journée la plus dégradante et la France sa plus sinistre humiliation », Télérama dénonce un film « obscène et scatologique, d’une complaisance à faire vomir », et Paris Match exprime sa « honte pour [son] pays, la France, qui a accepté d'envoyer cette chose à Cannes afin de représenter [ses] couleurs ».

Ingrid Bergman, présidente du jury, se dira elle aussi indignée que « la France ait cru bon de se faire représenter par les deux films les plus sordides et les plus vulgaires du festival ». La Maman et la Putain sort néanmoins couronné par un Grand Prix Spécial (que Bergman aurait été « forcée » d’attribuer, d’après ses mots), et La Grande bouffe obtient le Prix de la Critique Internationale.

François Truffaut vs. "Le cinéma de papa"

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« Au fond Yves Allegret, Delannoy ne sont que les caricatures de Clouzot, de Bresson. »
(François Truffaut)

1954 : Le jeune François Truffaut, critique aux Cahiers du Cinéma, s’attaque avec véhémence à ce qu’il nomme le « cinéma de papa », ou le cinéma « de tradition française », c’est-à-dire les grands réalisateurs classiques du cinéma français, notamment des années 1940, comme René Clément, Claude Autant-Lara, Yves Allégret et Marcel Carné. Dans son célèbre article Une certaine tendance du cinéma français, il introduit la pensée qui deviendra la base de la « politique des auteurs » :

« "Mais pourquoi - me dira-t-on - pourquoi ne pourrait-on porter la même admiration à tous les cinéastes qui s'efforcent d'œuvrer au sein de cette Tradition de la Qualité que vous gaussez avec tant de légèreté ? Pourquoi ne pas admirer autant Yves Allegret que Becker, Jean Delannoy que Bresson, Claude Autant-Lara que Renoir ? " Eh bien je ne puis croire à la co-existence pacifique de la Tradition de la Qualité et d'un cinéma d'auteurs. Au fond Yves Allegret, Delannoy ne sont que les caricatures de Clouzot, de Bresson. »

Truffaut a par ailleurs été l’un des critiques les plus polémiques de son époque, auteur de quelques formules marquantes comme « un film vaut celui qui le tourne », ou encore « il n’y a pas de bonnes histoires, il n’y a que de bons films » - toutes deux publiées dans le recueil Le plaisir des yeux.

David Fincher et Scott Rudin vs. (Les projections de) presse

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« Vous avez très sérieusement nui au film […], vous avez fait une chose basse et immorale. »
(Scott Rudin, producteur de Millenium : les hommes qui n'aimaient pas les femmes)

2011 : Aux Etats-Unis, le réalisateur David Fincher s'insurge contre un critique du magazine New Yorker qui a osé publier sa critique sur Millenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes une semaine avant sa sortie en salles. "L’interdiction" provisoire de la publication de critiques à l’issue des projections de presse est en effet une pratique courante : certains distributeurs imposent un embargo, les critiques devant alors déclarer qu’ils ne publieront pas leurs compte-rendus avant une date donnée. Officiellement, la pratique vise d'abord à préserver le secret de l'intrigue d’une œuvre.

Curieusement, bien que Millenium ait reçu de très bonnes critiques, le producteur Scott Rudin a tout de même protesté contre le critique qui n'a pas respecté l'accord, dans un mail qui a finalement été publié par voie de presse :
« Le fait que votre critique soit bonne est dispensable, comme vous devez le savoir. Vous avez très sérieusement nui au film en faisant ce que vous avez fait, et je ne pourrais pas en bonne conscience vous inviter à voir un autre de mes films, quel qu’il soit. Ce que vous en avez fait m'importe guère, mais vous l'avez fait et êtes donc obligé d’admettre, purement et simplement, que vous n’avez pas tenu votre parole et que vous avez fait une chose basse et immorale. »

Luc Besson vs. Brazil

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« Besson fait du cinéma pour être riche, mais aussi pour tirer des belles gonzesses qu’il fait jouer dans ses films. »
(Hervé Deplasse dans Brazil)

2003 : Le magazine de cinéma Brazil, avec pour slogan "le cinéma sans concessions", publie un long article sur le réalisateur Luc Besson, intitulé Besson m’a tuer… mon cinéma. L’auteur du papier, Hervé Deplasse, y attaque tous les films du réalisateur, et le réalisateur lui-même :

« Le cinéma de Besson (soyons agréables et considérons que cela en soit) fonctionne comme un pur produit marketing. […] Besson n’est pas un cinéaste, c’est un compileur. »

« (George) Lucas a crétinisé le spectateur, le distributeur, le producteur américain. […] Besson a sans doute fait les mêmes choix avec la différence de sa libido qui le pousse aux mêmes tendances que ses prédécesseurs américains. Besson fait du cinéma pour être riche, mais aussi pour tirer des belles gonzesses qu’il fait jouer dans ses films. Quand on a un physique ingrat mais du pognon et des rôles à distribuer, on constate que la recette reste toujours valable. »

Luc Besson, qui n’a jamais entretenu des relations idylliques avec la critique, décide d’attaquer le magazine en justice. Mais au lieu de demander une somme symbolique, il réclame 50 000 euros de dommages et intérêts – ce qui en cas de condamnation pourrait signifier la faillite pour cette publication aux modestes moyens financiers.

Une vive polémique émerge alors, des lettres de soutien sont adressées au magazine, et quelques voix arguent que d’autres médias, comme Les Guignols de l’Info sur Canal +, se sont aussi montrés agressifs envers des réalisateurs sans que personne n’ose pour autant les attaquer - Canal + étant le principal financeur du cinéma hexagonal. L’argument principal de la défense consiste donc à mettre en évidence la disproportion entre "le fort" (Besson) et "le faible" (Brazil).

A l’issue du procès, le magazine est acquitté et Luc Besson doit prendre en charge tous les frais de justice. Connaissant toujours des difficultés économiques, la revue Brazil a cependant été contrainte d'arrêter sa publication en 2011.

Patrice Leconte vs. Les critiques

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« (…) comme si les critiques s’étaient donné le mot pour tuer le cinéma français commercial, populaire, grand public. »
(Patrice Leconte)

1999 : Patrice Leconte envoie une lettre à l’ARP (Société des Auteurs, Réalisateurs et Producteurs), se disant « effaré de l’attitude de la critique ». Extrait :

« Certains papiers, qui ressemblent à autant d’assassinats prémédités, me font froid dans le dos, comme si les critiques s’étaient donné le mot pour tuer le cinéma français commercial, populaire, grand public. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire face à cette situation critique (le mot est amusant !). J’ai bien quelques idées, mais je ne sais pas si elles sont bonnes. J’aimerais en parler avec vous d’une manière informelle. Merci de ne pas me laisser seul dans ma colère et ma perplexité. »

Cette lettre ayant été, accidentellement semble-t-il, envoyée à plusieurs rédactions dont celle du quotidien Libération, le réalisateur fut invité à s’expliquer. Il accuse alors directement les critiques de la chute du nombre d’entrées du cinéma français, qui favoriserait par la même occasion la suprématie américaine dans le domaine, tout en proposant que la critique devienne « utile », une sorte de « partenaire » du cinéma français.

De nombreux réalisateurs et d’autres professionnels acceptent de rencontrer Leconte pour en discuter à l’ARP. Suite à cette entrevue, Bertrand Tavernier, Cédric Klapisch, Claude Miller, Luc Besson, Claude Lelouch, Danièle Thompson, Jean Becker, Robert Guédiguian, Nicolas Philibert, Rithy Panh, Jacques Rozier, Claude Sautet, Bertrand Blier et d’autres noms importants du cinéma français rejoignent la protestation. Un document est alors signé par 80 personnes, demandant entre autres à la critique de ne jamais publier une critique négative sur un film français avant sa sortie en salles. A l'inverse, d’autres réalisateurs comme Romain Goupil, André Téchiné et Malik Chibane - en plus des critiques eux-mêmes - protestent contre le contenu de cette lettre, qualifiant cette demande de censure.

La polémique aura duré plus de trois mois, et donné naissance à une trentaine d’articles et de dossiers sur le rôle de la critique, publiés notamment dans les quotidiens entre octobre 1999 et janvier 2000. L'affaire n’a finalement pas eu de suite. Hormis quelques rares journalistes qui ont accepté d’éviter la publication d'une critique négative avant la sortie du film en salles (comme N.T. Binh, de Positif), aucun changement notable dans l’activité critique n’a été constaté.

François Dupeyron vs. Télérama

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« Avec un mauvais Télérama, on a perdu au moins 60% de nos entrées. »
(François Dupeyron, réalisateur de C'est quoi la vie ?)

1999 : Le réalisateur François Dupeyron lance son film C'est quoi la vie ?, dans l'ensemble bien accueilli par les critiques. Les producteurs s’attendent à un nombre d’entrées proche de 500 000 en France - score qui ne sera en fin de compte pas atteint. Le magazine Télérama sort pour sa part un papier dans lequel le critique compare le film à « la publicité d'un éden où se réalisent à la fois l'idéal d'un couple moderne [...] et celui d'un retour à la terre déconnecté des contingences sociales. ».

Bien que relativement modérée (quelques compliments figuraient tout de même dans l’article), la critique déplaît et les producteurs mécontents n'hésitent pas à le faire savoir au magazine concerné. Une démarche qui intervient peu de temps après l’affaire Leconte. Pour ce faire, Dupeyron rédige une lettre à Télérama, publiée ensuite dans les pages du magazine :

« Je ne suis pas naïf. Je savais qu’en filmant des levers de soleil sur la campagne on parlerait de clichés. Mais renoncer à ces plans, c’était céder à la peur, et j’ai appris à combattre ce genre de peur… […] Les trois ou quatre journaux dont on parle beaucoup ces temps-ci à propos de la critique jouent un rôle décisif pour un film comme celui-là. Si au moins deux d’entre eux ne vous soutiennent pas, vous êtes mort. Pour une simple raison : face à la surmédiatisation des grosses machines, ces journaux sont les seuls vecteurs de communication pour les films « différents ». Avec un mauvais Télérama, on a perdu au moins 60% de nos entrées la première semaine à Paris. »

Finalement, C’est quoi la vie ? a enregistré 236 470 entrées.

Les réalisateurs vs. Les excès des critiques

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Philippe Noiret a « un gros cul » (Le Monde) / La Neuvième Porte de Polanski « fera date dans l'histoire du merdouillage forcené. » (Libération)

1999 : Encore un effet secondaire de l’affaire Patrice Leconte : les remises en cause, non pas de toute la critique, mais du moins des « excès » de celle-ci. La célèbre lettre-manifeste des réalisateurs (voir ici) pointe du doigt des titres "catastrophistes et accrocheurs", comme « Le Nord produisait des betteraves, il produit maintenant des navets » (Le Nouvel Observateur), « Pourquoi le cinéma français est nul » (Le Figaro magazine), « Chronique d’une merde annoncée » (Gérard Lefort dans Libération), ou « Les films qui nous donnent envie de changer de métier » (Les Inrockuptibles).

Hormis les titres, ce document mentionne également les jugements agressifs, pris comme preuves des excès de la critique lors de la polémique Leconte. Exemples : La Neuvième porte de Roman Polanski « fera date dans l’histoire du merdouillage forcené. Il évoque quelque mauvais porno français seventies » (Libération); Les Enfants du marais est taxé de « pétainisme light » (Le Monde); Philippe Noiret a « un gros cul » (Libération) ; Ornella Muti « ressemble à un loukoum graisseux » (ibid.) ; Stanley Kubrick « n’était pas un bon juif » (ibid.). Autres perles du genre citées pendant cette affaire : Glenn Close fut décrite comme « une vache suisse au bord de la ménopause », Jane Fonda qualifié de « planche sur laquelle personne ne veut repasser » (Libération) ou Giulietta Masina de « petite bobonne romaine angoissée par la ménopause » (dixit le regretté Jean-Louis Bory).

Même si la majorité de la critique revendique le droit de tout dire, qualifiant ces extraits d’archi-minoritaires, certains critiques, notamment Jean-Pierre Jeancolas et Michel Ciment (Positif) n'hésitent pas à condamner eux aussi les attaques personnelles. Les réalisateurs, à leur tour, représentent les films comme des victimes sans défense : Luc Besson dit qu’un film « ne veut de mal à personne, c’est un objet gentil », et Bertrand Tavernier estime que « tout film, comme tout être humain, doit être présumé innocent ».

Il faudrait ajouter que les critiques des années 1950-60, pourtant pris comme modèles par Patrice Leconte, étaient loin d’être des anges. En 1959, Jean-Luc Godard affirme ainsi : « On savait depuis longtemps que le ridicule n’a jamais tué Yves Ciampi. […] Le Vent se lève réussit ce prodige d’être fade dans le grotesque » ; en 1960, Louis Seguin écrit à propos d'A bout de souffle : « L’anarchiste Jean-Paul Belmondo est de ceux qui écrivent « Mort aux juifs » dans les couloirs du métro, en faisant des fautes d’orthographe » ; en 1965, Michel Cournot avance que « Le dialogue de Viva Maria ! est l’un des plus inexistants et de plus sottement prononcés de tout le cinéma français : le néant mental en esperanto. » Des centaines d’exemples semblables pourraient être cités dans les pages des Cahiers du Cinéma, Positif, Arts, Le Nouvel Observateur.

Michel Ciment vs. Le "Triangle des Bermudes"

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« Ce qui est en cause, c’est cette sorte de pensée unique, héritée de la Nouvelle Vague. »
(Michel Ciment)

1999 : Les réalisateurs ne sont pas seuls à attaquer la critique. Le métier a ses propres querelles internes, et ce depuis ses premières années d'existence. Michel Ciment, rédacteur en chef de Positif et ancien président du Syndicat français de la critique, tape sur ce qu’il appelle le "Triangle des Bermudes", c’est-à-dire ces revues/journaux puissants qui feraient selon lui du « terrorisme intellectuel », du « culturellement correct », soit une sorte d’uniformisation de la critique. Le triangle serait composé des Cahiers du Cinéma, du Monde et de Libération, avec inclusion éventuelle de quelques angles supplémentaires (Les Inrockuptibles, Télérama) :

« Ce qui est en cause, c’est cette sorte de pensée unique, héritée de la Nouvelle Vague, poussée par Serge Daney à Libération et reprise par ses héritiers. Lorsque des querelles de chapelle opposent des revues confidentielles (les Cahiers contre Positif, par exemple), c’est amusant. Mais lorsque la critique doctrinaire prend le pouvoir dans les journaux et fait passer la marge pour la norme, ça change tout. Lorsque cette famille d’esprit contrôle les journaux où la place de la vraie critique a été maintenue, cela devient étouffant pour les créateurs. »

Quelques membres dudit Triangle n’hésitent pas à répondre, surtout Serge Kaganski (Les Inrockuptibles) : « Ce virtuel triangle des Bermudes n’existe que dans l’esprit de Ciment ; il vitupère depuis des années avec un acharnement inquiétant (pour lui) » ; ou encore « Don Quichotte Ciment a coutume d’en appeler à la critique internationale pour mieux fustiger le “dévoiement” de la critique française et de son “triangle des Bermudes” (traduire Le Monde-Libé-Cahiers-Inrocks), clamant que seul Positif serait dans le vrai. »

Jean-Luc Godard vs. François Truffaut

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« Je sens le moment de te dire, longuement, que selon moi tu te conduis comme une merde. »
(François Truffaut à Jean-Luc Godard)

1973 : Au départ, François Truffaut et Jean-Luc Godard étaient comme deux frères. Ils partageaient les mêmes avis sur les films, exerçaient le métier de critique ensemble aux Cahiers du Cinéma, et commencèrent leur carrière cinématographique en même temps, Truffaut avec Les Quatre cents coups, Godard avec A bout de souffle (tiré d’un argument de Truffaut).

Mais voilà que le temps passe, et que leurs carrières prennent des tours différents. Godard essaie de « faire politiquement du cinéma politique », tandis que Truffaut se tourne vers des films plus "légers" et poétiques. Le conflit survient juste après la sortie de La Nuit américaine de Truffaut, en 1973. L'immense succès du film est couronné par un Oscar du meilleur film en langue étrangère. Truffaut reçoit alors une lettre de Godard :

« Probablement personne ne te traitera de menteur, aussi je le fais. Ce n’est pas plus une injure que fasciste, c’est une critique, et c’est l’absence de critique où nous laissent de tels films, le tien et ceux de Chabrol, Ferreri, Verneuil, Delannoy, Renoir, etc. dont je me plains. […]. J'en viens à un point plus matériel. J'ai besoin, pour tourner "Un simple film", de cinq ou dix millions de francs. Vu La Nuit américaine, tu devrais m’aider, que les spectateurs ne croient pas qu’on ne fait des films que comme toi. »

Truffaut riposte :

« Je te retourne ta lettre à Jean-Pierre. Je l’ai lue et je la trouve dégueulasse. C’est à cause d’elle que je sens le moment de te dire, longuement, que selon moi tu te conduis comme une merde. Je me contrefous de ce que tu penses de La Nuit américaine […]. A mon tour de te traiter de menteur. Au début de "Tout va bien", il y a cette phrase : “Pour faire un film, il faut des vedettes.” Mensonge. Tout le monde connaît ton insistance pour obtenir Jane Fonda qui se dérobait, alors que tes financiers te disaient de prendre n’importe qui. […] Tu l'as toujours eu, cet art de te faire passer pour une victime. […] Il te faut jouer un rôle et que ce rôle soit prestigieux. J’ai toujours eu l’impression que les vrais militants sont comme des femmes de ménage, travail ingrat, quotidien, nécessaire. Toi, c’est le côté Ursula Andress, quatre minutes d’apparition, le temps de laisser se déclencher les flashes, deux, trois phrases bien surprenantes et disparition, retour au mystère avantageux. Comportement de merde, de merde sur son socle… »

Cahiers du Cinéma vs. Positif

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« Pauvres crétins aveuglés par leur misérable petit esprit éclectique »
(Positif, n°10, à propos des critiques des Cahiers du Cinéma)

1954 : Alors que la revue Cahiers du Cinéma fait son apparition en 1951, Positif sort pour la première fois l'année suivante. Les deux magazines, qui figurent toujours parmi les publications les plus respectées des cinéphiles, ont rapidement connu leurs premiers conflits. Si les Cahiers affichaient leur admiration pour Roberto Rossellini, Jean Renoir et Alfred Hitchcock, Positif leur préférait Luis Buñuel, Georges Franju et John Huston.

Dans son édition numéro 10, en 1954, Positif fustige André Bazin et Daniel Volcroze en les comparant à des « pauvres crétins aveuglés par leur misérable petit esprit éclectique », traitant François Truffaut de « fasciste ». Truffaut ne tarde alors pas à riposter :

« Seul Positif détient la vérité, Positif, comme les agences de flics privés, sait tout, entend tout, voit tout. On croyait que Radar était là ? Erreur, c’était Positif ! […] Le travail de Positif est plus proche de celui des organes corporatifs, puisqu’il s’agit essentiellement de coter le film en fonction de son standing, de sa réputation, de son degré de malédiction, en fonction surtout des opinions politiques et religieuses de gens […] Faute d’avoir des idées, ou peut-être de savoir les exprimer, tes amis et toi, à Positif, vous vous gargarisez des mots. »

Pendant une décennie, la guerre se poursuit avec des échanges tout aussi courtois que les accusations ci-dessus. Même si les rapports entre les deux revues se sont entretemps pacifiés, leurs préférences cinématographiques demeurent à l'heure actuelle toujours aussi distinctes. Dans le classement des meilleurs films de la décennie 2000-2009 établi par chacune des deux revues, les films The Host, Tropical Malady et A l'ouest des rails étaient très bien placés chez Cahiers du Cinéma, mais brillaient par leur absence chez Positif. De même, les longs métrages There Will Be Blood, La Nuit nous appartient et De battre, mon coeur s'est arrêté furent-ils encensés chez Positif, mais pas même mentionnés dans les Cahiers.
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