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De "Dallas" à... "Dallas", une histoire du soap

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Message par Alouqua Ven 15 Juin - 19:43

Le soap télévisé est aussi ancien que la télévision elle-même. Créé pour la radio, il a été transféré sur ce nouveau média à sa naissance. Ce dossier se propose d’en dresser une histoire, en s’interrogeant sur ce qui peut le définir et en examinant les différentes formes qu’il a prises au fil du temps

Dossier réalisé par Sullivan Le Postec.

Introduction

"Alors que je voyageais dans une région isolée de l’Afrique de l’est à l’époque colonisée, et que je découvrais les villages de huttes végétales sans magasins, ni électricité, ni route, ni aucun autre équipement, j’ai demandé à un ami africain ce que faisaient les gens durant les longues et sombres heures après le crépuscule, qui arrive tôt toute l’année à l’équateur. Sans hésitation, mon ami m’a répondu : 'Ils cancanent. Ils se racontent les histoires d’amour et les maladies de leurs voisins.' Effectivement, il me semble que ce soit là un des besoins fondamentaux de l’être humain. Après la satisfaction du besoin de nourriture, d’abris et de procréation, la satisfaction du besoin de potins sur les expériences des autres doit être une des préoccupations centrales de l’existence. C’est la source de toute fiction et narration, et la source également de la série télévisée. Entendre ce qui est arrivé aux autres, comment ils ont affronté les crises de leurs vies, est de la plus grande importance pour la survie de l’individu et de l’espèce ; c’est une part d’un processus d’apprentissage sans fin."
Martin Esslin, The Age of Television, 2002.


Sommaire du dossier :

1ère Partie : Le Daytime soap américain
L’histoire du premier daytime soap diffusé en France, Santa Barbara, nous permet de découvrir ce genre et de constater comment il se meurt aujourd’hui, faute d’avoir su se renouveler.

2ème Partie : Années 80 : les grands soaps du soir
Dallas, puis Dynastie ou Côte ouest : le soap s’invite en prime-time et démontre que les téléspectateurs peuvent suivre une intrigue feuilletonnante hebdomadaire.

3ème Partie : Années 90 : Le teen soap
A la mort des grandes sagas des années 80, c’est le soap adolescent qui prend le relais, de Beverly Hills à Dawson, en passant par Angela, 15 ans.

4ème Partie : Le savon français
Des sagas de l’été, nos prime-time soaps, aux tentatives diverses d’imposer des feuilletons quotidiens, retour sur les soaps français, et évidemment sur Plus belle la vie.

5ème Partie : Le soap à travers le monde
Introduction aux formes prises par le soap à travers le monde, des soaps anglais devenus institutions aux télénovelas sud-américaines, en passant par les feuilletons du Ramadan du monde arabe.

6ème Partie : Quand le soap envahit les séries
Initiée dans les années 80, l’hybridation entre séries et feuilletons devient la norme des années 90 : les codes du soap se diffusent presque partout.

7ème Partie : Années 2000 : le soap noble est un drama
Les années 2000 ont vu la consécration de soaps "nobles" reconnus par la critique, comme Six Feet Under et Friday Night Lights, mais qu’on désigne rarement par leur nom.

1. Le daytime soap américain

C’est seulement en 1985 que les français ont découvert le soap opera de journée américain, avec l’arrivée de Santa Barbara sur TF1. La chaîne a saisi l’occasion de la création en 1984 de ce nouveau soap sur NBC, qui lui permettait de commencer l’histoire par le début. (A l’inverse, Les Feux de l'amour ou Des jours et des vies ont commencé en France en 1989 et 1991 par des épisodes choisis arbitrairement.)

Il y a un paradoxe Santa Barbara. Aux États-Unis, on s’en rappelle comme un des meilleurs soaps quotidien. En France, la série est identifiée aux travers du genre : les décors de studio au réalisme faible, la réalisation médiocre, le jeu des acteurs limité. Des défauts inhérents au rythme frénétique des tournages mais que peuvent compenser une écriture solide et l’attachement aux personnages procurés par la fidélisation quotidienne. D’ailleurs, Santa Barbara a été très populaire, atteignant jusqu’à 9 millions de spectateurs vers 19h, mais est resté dans la mémoire collective française comme une production kitsch, bas de gamme et sans intérêt.

Santa Barbara doit son succès à son couple de créateurs, les Dobson. Bridget Dobson est très familière du genre puisqu’elle est la fille de Frank et Doris Hursley qui ont créé Alliances & trahisons, le plus ancien soap quotidien encore en cours de diffusion aux États-Unis. Il fut lancé en 1963, dix ans après le tout premier du genre, Haine et Passions, transféré à la télévision après 17 ans d’existence à la radio.
Dans les années 50, les épisodes faisaient 15 minutes et étaient filmés en direct. Leur durée est progressivement passée à 30mn dans les années 60, puis 1h dans les années 70. A cette époque, les derniers soaps diffusés en direct basculèrent vers des épisodes enregistrés.

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Le soap est un mélodrame destinée à accompagner la femme au foyer pendant ses travaux ménager. Ces tranches de programmes sont sponsorisées et à l’origine produites par les lessiviers, d’où ce nom d’opéra savon. Le soap repose sur l’empathie envers des personnages dont on explore avant tout la vie émotionnelle. Ses thèmes sont la famille, les relations sentimentales plus ou moins contrariées et les conflits de génération. La structure est non-finie : plusieurs intrigues se déroulent en parallèle, s’arrêtent, commencent, se poursuivent... Bref, chaque épisode invite à regarder le suivant, et les cliffhangers sont nombreux, particulièrement le vendredi. Le soap américain, même s’il incorpore des familles populaires ou de classe moyenne, a toujours eu tendance à mettre en avant des familles très aisées.

Quand Bridget et Jerome Dobson créent Santa Barbara, trente ans après l’apparition du soap télévisé, ils intègrent cette histoire. Leur série est très moderne, notamment par son écriture : chaque épisode d’une heure (ils étaient découpés en deux sur TF1) couvre une journée, alors que Les Feux de l'amour, par exemple, racontent leurs histoires pratiquement en temps réel. Il faut donc de multiples épisodes pour suivre un jour de la vie des personnages, ce qui fait qu’il est possible de tomber le mercredi sur la suite d’une conversation commencée dans l’épisode du lundi...


Santa Barbara est excentrique, fait preuve d’esprit et d’humour, et joue très fréquemment la carte du second degré et de l’autodérision. Elle fait aussi des incursions régulières dans le fantastique et le merveilleux. Pour le mariage de Cruz et Eden, le couple vedette, les scénaristes concoctent une lune de miel pour le moins originale : un voyage dans le temps ! Les nouveaux mariés rencontrent les parents d’Eden dans une intrigue qui évoque le premier Retour vers le futur.

Bridget Dobson s’est aussi beaucoup inspirée de sa propre famille dysfonctionnelle pour créer celle au cœur du feuilleton, les Capwell. En effet, c’est seulement en posant un ultimatum à ses parents qu’elle a pu intégrer l’équipe d’écriture d'Alliances & trahisons, et quand elle démissionne cinq ans plus tard pour essayer de trouver un travail sur un autre soap que celui de ses parents, ceux-ci tombent des nues : ils ne voient pas qui, à part eux, pourrait engager leur fille. La mère de Bridget Dobson confia plus tard n’avoir jamais regardé une des série dont sa fille dirigeait l’écriture, parce qu’elle voulait "pouvoir continuer à être fière" d’elle !

"J'aime beaucoup écrire pour Mason Capwell," admet Bridget Dobson. "C'est un personnage tourmenté, qui me ressemble par certains côtés. Je lui ai fait dire à ses parents des choses que je n'aurais jamais été capable de dire aux miens, mais que j'aurais bien voulu leur sortir !"

Pour tenir en haleine le public des décennies durant, les soaps sont coutumiers de rebondissements rocambolesques, voire carrément absurdes. Santa Barbara, si elle le fait avec malice, ne fait pas exception. Une intrigue voit ainsi Gina, la méchante fantasque, décider d’envoyer un sosie de Mason au sein de la famille Capwell, pour mieux les dépouiller. L’occasion d’un cours sur l’histoire de la série, à voir dans la vidéo ci-dessous. Une mise en abîme incroyable. (Faut-il préciser que le sosie de Mason est en fait le vrai Mason, qui a perdu la mémoire et se prend pour quelqu’un d’autre ? Rocambolesque voire carrément absurde, on vous a dit.)



Les histoires abracadabrantes des soaps quotidiens américains ne sont pas seulement le fruit de scénaristes désespérés ne sachant plus comment remplir le prochain épisode, ils sont aussi une façon de mettre la réalité à distance. Parce qu’ils sont destinés aux ménagères présentes devant leur écran à 14h ou 15h, une cible vieillissante, les daytime soaps sont conservateurs et ne suivent qu’avec retard les évolutions de la société.

L’augmentation massive du travail des femmes, la multiplication des chaînes et la fragmentation du public ont mis à terre le modèle économique des soaps quotidiens américains. Surtout, ceux-ci n’ont pas su se renouveler. Rien n’a vraiment changé depuis cet extrait de Santa Barbara datant de la fin des années 80. Depuis dix ans, cette industrie est à l’agonie. Même ses stars doivent accepter des réductions de salaire, ce qui donne lieu régulièrement à des négociations médiatiques tendues.

En une poignée d’années, les chaînes américains ont annulé des soaps historiques tels que Haine et Passions, As the World Turns, La Force du destin et On ne vit qu'une fois. Ces deux derniers ont eu l’espoir d’être sauvés par un acteur de l’Internet qui a tenté de monter une chaîne de diffusion en ligne. Le projet a capoté misérablement.

Le soap quotidien américain a-t-il encore un avenir ? Rien n’est moins sûr.

2. Années 80 : les grands soaps du soir

Dès les années 60 (Peyton Place, 1964), les premières tentatives d’importer le soap en prime-time sont produites aux États-Unis. Mais c’est à la toute fin des années 70 que va arriver la série qui va rencontrer le succès, et installer le genre en soirée.

Au départ, quand le créateur David Jacobs et son producteur Michael Filerman rencontrent CBS, ce n’est pas d’une famille richissime à la tête d’un empire du pétrole qu’ils leur parlent. Ils proposent l’histoire de quatre couples de voisins, citant en référence Scènes de la vie conjugale, d’Ingmar Bergman. Les exécutifs de la chaîne lui confirment que l’idée d’un soap du soir les intéresse. Mais CBS recherche quelque chose de plus glamour. David Jacobs concocte Dallas, une série qui va changer la télévision américaine. Son succès en génère d’autres, de Dynastie à Falcon Crest. Mais aussi cette série dont David Jacobs rêvait, transformée en spin-off de Dallas : Knots landing / Côte ouest.

Au départ, les responsables de chaînes ne sont pas convaincus que les téléspectateurs peuvent suivre de véritables feuilletons hebdomadaires : les deux ou trois premières saisons de Dallas, Dynastie et Côte ouest proposent des épisodes aux intrigues bouclées. Au fil du temps, la formule prend et ces séries deviennent de vrais feuilletons à suivre.

Contrairement aux soaps de journée, les sagas du soir peuvent se permettre les tournages en extérieur et sur pellicule plutôt qu’en vidéo. Leurs passions amoureuses et rivalités familiales sur fond de villas avec piscine, de robes de créateur et de bijoux luxueux rencontrent un certain esprit des années 80, ces années frics où l’argent est décomplexé.

L’horaire de diffusion – Dallas et Côte ouest étaient diffusées à 22h – permet aussi de montrer la société de façon bien plus réaliste que dans les soaps de journée, et de traiter de sujets plus controversés. Alors même que la série est diffusée sur CBS, un network plutôt conservateur, le personnage principal de Côte ouest, Karen, est une femme très forte, une militante libérale, féministe et écologiste.

Un des premiers épisodes de Côte ouest met en avant le personnage de Laura Avery, enfermée dans un mariage malheureux avec un homme médiocre et égocentrique, Richard. La jeune femme étouffe et, pour retrouver un sentiment de liberté, joue avec le feu.



Le parcours de Laura est très révélateur de la manière dont Côte ouest va refléter son temps, qui est celui de l’émancipation des femmes. Après cet épisode, elle aurait pu être enfermée dans un rôle de victime à la Sue Ellen. Bien au contraire, elle et les autres femmes de la série vont prendre le pouvoir et reléguer les personnages masculins au second plan. "Ce n’est pas forcément quelque chose que nous avions planifié," explique David Jacobs. "Au début, aucune des femmes ne travaillait, à part Ginger qui était institutrice. Et en trois ou quatre ans, elles avaient toutes une carrière". Mieux, dès la saison 2 arrivera le personnage d’Abby, une jeune mère divorcée qui va devenir une méchante manipulatrice, assoiffée de pouvoir et d’argent.

Cela dit, cette version en jupon ne fera jamais oublier JR, quand bien même Dallas était une série bien inférieure à sa dérivée – une chose que les producteurs exécutifs David Jacobs et Michael Filerman (qui ont délaissé Dallas après sa deuxième saison pour se concentrer sur Côte ouest) reconnaissent eux-mêmes.

A l’origine, Bobby devait être le personnage principal, et le méchant JR aurait dû rester au second plan. Mais, explique Michael Filerman : "Larry Hagman a rempli le vide que Patrick Duffy lui a laissé". C’est ainsi que JR est devenu le premier anti-héros à succès de la télévision américaine, à la fois machiavélique et étrangement humain. Il a personnifié Dallas et est devenu une icône. C’est ce qui explique que Dallas puisse être de retour aujourd’hui pour la chaîne câblée TNT. Une suite, et pas un reboot : cela en dit long sur le fait que le personnage de JR est indispensable.

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La gloire des grandes sagas de prime-time s’est fanée dès la fin des années 80. Sans que le soap de prime-time ne disparaisse véritablement. Comme nous allons le voir par la suite, il s’est surtout diffusé et transformé.

Périodiquement, de nouvelles variations autour du genre apparaissent, récemment Brothers & Sisters ou encore Desperate Housewives, qui partagent de nombreux points communs avec Côte ouest. Depuis septembre 2011, c’est Revenge qui tente, avec un certain succès, d’insuffler au genre une nouvelle jeunesse.

3. Années 90 : Le teen soap

Au début des années 90, la débauche d’argent des grands soaps de soirée de la décennie précédente a fini par se démoder. Mais le soap de prime-time va connaître une nouvelle jeunesse grâce à l’arrivée d’un quatrième network, la Fox, né dans la deuxième moitié des années 80. La Fox s’intéresse au public jeune. Elle décide de lancer un soap adolescent aux héros lycéens, Beverly Hills, diffusé pour la première fois en octobre 1990.

Si le teen soap va autant se développer dans les années qui vont suivre, jusqu’à aujourd’hui, c’est parce qu’il est presque une évidence : l’adolescent est le personnage idéal pour une fiction axée sur l’émotion qui a besoin de tempêtes de sentiments complexes et contradictoires pour nourrir ses intrigues. Ce rajeunissement rencontre aussi une époque fascinée par la youth culture.

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En se situant dans le luxueux code postal de ce quartier huppé de Los Angeles, la série se met dans les pas de la plupart des soaps de la décennie précédente : ses personnages, ayant de l’argent à ne plus savoir qu’en faire, peuvent se permettre de passer leurs journées à ne s’occuper que de leurs haines et passions. Cela dit, Beverly Hills reste à l’époque assez sobre, très loin de ce qu’est Gossip Girl aujourd’hui.

Le soap ado n’a pas été un succès immédiat. C’est la diffusion d’épisodes estivaux pendant l’été entre la première et la deuxième saison, alors que les autres Networks ne programmaient que des rediffusions, qui en fait un gros succès.

En 1994, la chaîne cherche à développer une série qui pourrait accompagner Beverly Hills sur sa grille. Ce sera La Vie à cinq, l’histoire de cinq frères et sœurs orphelins. Ses audiences sont d’abord faibles. La série est tenue à bout de bras par son noyau de fans et la critique (elle remporte le Golden Globe du meilleur drama au milieu de sa deuxième saison en 1996), ce qui lui permettra de devenir sur le tard un petit succès.

Amy Lippman et Christopher Keyser, les créateurs de La Vie à cinq, vont intensifier l’aspect social du soap, qui permet d’aborder de grands sujets de société. Leur série s’est peu à peu structurée autour d’une grande crise par saison qui touchait l’un des personnages principaux : le mariage raté de Charlie en saison 2 qui mettait en valeur sa peur de l’engagement et des responsabilités, l’alcoolisme de Bailey en saison 3, Julia battue par son petit ami en saison 4. Des problématiques souvent sujets d’un épisode unique auparavant, et à qui le soap permet d’insuffler de la profondeur et de la subtilité par un traitement sur la durée.

Le luxe et le dépaysement de séries à la Beverly Hills donne souvent lieu à des gros succès commerciaux. D’un autre côté, le réalisme social et émotionnel que veulent atteindre d’autres programmes comme La Vie à cinq en fait des pépites célébrées par la critique, mais aux audiences anémiques... Cette dichotomie, qui remonte donc aux origines du soap ado, ne va faire que s’accentuer...

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En même temps que La Vie à cinq, apparaît My so-called life / Angela, 15 ans. La série de Winnie Holzman est le chef d’œuvre du genre, de par son incroyable sensibilité et son sens de la psychologie. Mais elle ne compte que 19 (merveilleux) épisodes, devenus cultes notamment grâce à des rediffusions sur MTV. Quelques années plus tard, Freaks and Geeks a connu le même destin.

Le genre aurait pu décliner à mesure que la Fox montait en puissance et élargissait son public cible, mais il connut au contraire un développement important avec la création de WB, devenue par la suite CW après sa fusion avec UPN.

Là où la Fox, à ses débuts, ciblait les adolescents parmi d’autres, WB puis CW en firent leur cible unique, ce qui donna lieu à la création d’un grand nombre d’autres teen soaps au fil des années : Dawson, Newport Beach, Les Frères Scott, Gossip Girl, et même une suite de la série par qui tout avait commencé, 90210...

Le traitement adolescent du soap opera a par ailleurs aussi ouvert la voie à des versions teen d’autres genres : du fantastique (Buffy contre les vampires) au film noir (Veronica Mars). De la même manière, les soaps quotidiens, sous l’influence de ces séries, ont eux aussi intégré beaucoup plus de personnages adolescents à partir de la fin des années 90, particulièrement pendant les périodes de vacances scolaires.

Plus de vingt ans après son apparition, le succès du teen soap ne se dément pas : il s’est ancré dans la culture télévisuelle contemporaine.

4. Le savon français

L’histoire du soap français est celle de rendez-vous manqués. Le premier fut celui de Châteauvallon. Antenne 2 lance ce soap du soir en janvier 1985 pour tenter de contrer le succès de Dallas sur TF1. Le succès est énorme : le premier épisode est vu par 14 millions de téléspectateurs, 17 millions suivent le deuxième. Mais l’unique saison de la série, qui compte 26 épisodes, n’aura jamais de suite. Alors que Châteauvallon était encore en diffusion, son actrice principale, Chantal Nobel, fut grièvement blessée dans un accident de voiture (elle passa 40 jours dans le coma). La production de la série fut arrêtée.

De manière intéressante, Châteauvallon s’ancrait dans la réalité française. L’affrontement entre les Berg et les Kovalic comportait des ressemblances avec l’opposition des Baylet et des Baudis à Toulouse. La famille Baylet, propriétaire du Journal La Dépêche du Midi, fit même inscrire au générique une mention indiquant, en dépit de l’évidence, que "le nom du quotidien appartenant à la famille Berg [La Dépêche, NDLR] a été choisi en raison de sa banalité. Il ne peut donc être confondu avec celui d'un quotidien existant."

En journée, les tentatives d’imposer un soap quotidien se sont soldées par une série d’échecs : En cas de bonheur (TF1, 1989), Riviera (TF1, 1991), Cap des Pins (France 2, 1998) ont été oubliés aussi vite qu’ils sont passé sur les antennes. Ils n’ont pas su survivre dans une télévision française qui se refuse au réalisme social, mais où les histoires d’empires familiaux et de luxe ont du mal à rester crédibles.

Seul succès de daytime : Sous le soleil, près de 500 épisodes diffusés entre 1996 et 2008, malgré l’incohérence totale de son développement. Jessica, serveuse au début de la série, devient ainsi sans transition Princesse, animatrice radio puis Maire de Saint Tropez. Et la carrière de Caroline, autre héroïne, est aussi grotesque. Un symptôme français : notre télévision n’est majoritairement pas une télévision d’adhésion, elle ne cherche à passionner personne, juste à bercer gentiment pour empêcher de zapper. Puisqu’il n’y a pas de véritable engagement du téléspectateur, de véritable attachement au personnage, tout est possible. Y compris ce type de ruptures dramaturgiques dénuées de logique.

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En prime-time, en revanche, et dans la lignée de Châteauvallon, le soap arrive à s’imposer via une déclinaison très française, la saga de l’été. Le Vent des moissons est la première du genre en 1988, portée à l’antenne par le directeur de la fiction de TF1, Claude de Givray, le scénariste Jean-Pierre Jaubert et le réalisateur Jean Sagols. La saga d’été explore la ruralité et le terroir français, cadre des secrets de familles, passions amoureuses et affrontement entre patriarches et jeunes ingénues.
Au début, ces productions sont entièrement tournées en vidéo pour limiter leur budget. Au fil des années, et tandis que le succès se renforce, la saga monte en gamme. En 1992, Les Coeurs brûlés est tournée sur pellicule. La saga atteint 50% de part de marché et lance définitivement le genre. Le succès est tel que sa suite, en 1994, ne sera diffusée qu’à partir de septembre pour maximiser les recettes publicitaires.

Lorsque la deuxième chaîne se lance à son tour dans les sagas, avec Le Château des oliviers, commencent les tentatives de renouveler le genre, il est vrai fort répétitif. On cherchera alors tour à tour à introduire du costume (La Rivière Espérance), de l’exotisme (Sandra, princesse rebelle), voire les deux à la fois (Terre indigo, tournée à Cuba).

Dans les années 2000, la saga d’été trouve un second souffle, et bat des records d’audience, en introduisant une trame policière dans la formule (Zodiaque), voire une pincée de fantastique (Dolmen). A bout de genres avec lesquels s’hybrider pour tenter de se renouveler, la saga d’été est en net déclin depuis cinq ans.

En 2004, France 3 tente un retour au soap quotidien, avec une stratégie de contre-programmation face aux journaux de 20h. Plus belle la vie essaie, bien plus que tous ses prédécesseurs français, de refléter la société française en s’ancrant dans un quartier plutôt populaire, le fictif Mistral marseillais. La formule originale tente de s’inspirer de la tradition naturaliste du cinéma d’auteur français. A l’image, le résultat est terriblement ennuyeux et plat. L’échec est lourd : les premiers épisodes ne réunissent que 6,5% des téléspectateurs, loin de la part de marché moyenne de la chaîne qui s’établissait à 15,2% en 2004.

Après quelques semaines à l’antenne, une révolution a lieu en coulisse. La chaîne décide de placer un scénariste à la tête de l’écriture, ce qui n’était pas le cas avant. Il est aussi décidé de ne pas diffuser une vingtaine d’épisodes déjà tournés, pour pouvoir proposer au plus vite la nouvelle formule, mise au point par le nouveau chef de l’écriture, Olivier Szulzynger. Celui-ci s’est inspiré de la saga d’été (il en a écrit deux avec Georges Desmouceaux, un des co-créateurs de Plus belle la vie) pour muscler les intrigues et le rythme de la série, en même temps qu’il formalisait la structure des épisodes, avec une intrigue principale intense ouvrant l’épisode et le refermant avec cliffhanger, et deux autres sentimentales ou de comédie.

Cette écriture brillante va être l’instrument de la reconquête : les audiences progressent de mois en mois, et finissent par se stabiliser entre 5 et 6 millions de téléspectateurs pour plus de 20% de part de marché. Le soap est devenu le plus gros succès de France 3.

Cette intensification des intrigues, largement irréalistes, n’a pas coupé court à la volonté de proposer un miroir de la société française. Au contraire, et contre toute attente, elle l’a renforcé. L’inclusion de ces éléments permettait, en parallèle, de creuser plus profondément certains personnages et de se montrer provoquant. Ce fut par exemple le cas via le personnage de Jules, un jeune Noir musulman qui, heurté après que sa mère ait été tué par un chauffard, se radicalise.



Forcément, la success-story de Plus belle la vie a donné des idées. Mais aucune des tentatives de l’imiter – Seconde chance sur TF1, Cinq soeurs sur France 2, Pas de secrets entre nous et Paris 16ème sur M6 – n’a rencontré le succès. Il faut dire que les autres chaînes ont eu le plus grand mal à tirer les leçons de la réussite de France 3 : manque d’ancrage social, de punch des intrigues, inadéquation entre les concepts et les cases de diffusion, les raisons de ces échecs sont nombreuses.

La saison prochaine, Plus belle la vie aura de nouveau des concurrents sur son terrain : TF1 et, plus surprenant, NRJ12, viennent de tourner des pilotes de séries quotidiennes.

5. Le soap à travers le monde

Le soap opera, tel que défini par un certain nombre de critères – la narration non finie, chaque épisode appelant à regarder le suivant, l’écriture centrée sur l’émotion et les sentiments pour provoquer identification et empathie, les thématiques de la famille, des conflits de générations, et de la relation amoureuse traitées sous tous les angles – est un genre international.

Les racines du soap opera quotidien britannique sont presque aussi anciennes que celle du soap US. Depuis l’arrêt de l’américain As the World Turns en septembre 2010, Coronation Street est même devenu le plus ancien encore en diffusion dans le monde : son premier épisode remonte au 9 décembre 1960. Depuis, il est resté une institution de la télévision britannique, sans lasser : il domine encore les audiences rassemblant 8 à 9 millions de téléspectateurs sur la chaîne privée ITV, avec un pic récent à 14 millions pour l’épisode en direct qui fêtait les 50 ans du feuilleton.

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Le soap anglais est la source d’un des grands fondements de la fiction télévisée du pays, ce que les britanniques appellent les "kitchen drama" ("drames de cuisine") : chroniques du quotidien, de l’intime, de la famille. Des fictions où le visuel passe au second plan – pour des raisons d’économies, la BBC a très longtemps tourné presque toutes ses fictions en vidéo.

La télévision britannique, tout comme l’américaine, descend directement de la radio. Elle a toujours assumé d’être un média d’écriture, par opposition à la France où la télévision s’est développée comme un parent pauvre du cinéma qui sacralise le réalisateur.

Coronation Street est fermement enraciné dans le milieu modeste de Weatherfield, petite ville fictive de la banlieue de Manchester, tirant profit de la tradition britannique de réalisme social. Les soaps anglais s’inscrivent tous dans cette veine, parfois même encore plus que le soap d’ITV, régulièrement taxé de conservatisme – dès les années 60, on lui reprochait de représenter la famille britannique de la décennie précédente.

La Grande Bretagne exploite aussi à plein ses régions, avec ses multitudes d’accents et même de langues : Pobol y Cwm est entièrement tourné en Gallois depuis ses débuts en 1974.

L'Amérique du Sud est l’autre Continent du soap. Avec une différence de taille : la telenovela, qu’elle soit hispanophone ou lusophone, est limitée dans le temps et raconte une histoire avec un début, un milieu et une fin, sur une durée comprise entre 20 et 300 épisodes. Un atout de taille pour éviter le tirage à la ligne et les rebondissements invraisemblables des soaps américains, mais qui peut aussi produire du conservatisme : à chaque début de nouvelle série, il faut séduire le public, avec la tentation de recourir pour cela à des recettes éculées.

Peu vues en France, les telenovelas y sont réduites à leur caricature : histoires d’amour passionnelles sur-jouées sur fond de couleurs flashy. Mais diffusées dans des créneaux horaires allant de 18h à 22h30, les telenovelas sont moins uniformes que ce que l’on perçoit ici. Entre 22 et 23 heures, notamment, elles peuvent aborder avec plus de réalisme des sujets sociaux et politiques – c’est le même horaire qui a permis aux prime-time soaps américains d’aborder de front des sujets sociaux encore tabous dans les années 80, comme le droit des femmes ou l’homosexualité.

Ce tournant a été pris au Brésil en 1992 avec Anos Rebeldes ("Années Rebelles") de Gilberto Braga, qui revenait, près de six ans après l’ouverture, sur les années de dictature militaire. En 2008, Queridos Amigos ("Mes Chers Amis") s’inscrit dans cette même tendance.

Les formats de telenovelas plus traditionnels s’exportent à peu près partout dans le monde, que ce soit en version doublée ou sous formes de remake. L’exemple le plus frappant en étant la colombienne Yo soy Betty, la fea ("Je Suis Betty, La Moche") adaptée 22 fois dans le monde dont aux États-Unis (Ugly Betty) et en Allemagne (Le Destin de Lisa).

Si les thématiques et les codes narratifs du soap sont universels, les référents culturels le sont beaucoup moins. Ils sont un frein à l’export plus grand encore que la langue, que le doublage permet aisément de contourner.

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C’est ainsi que les pays arabes importent de façon importante des dramas coréens : les valeurs culturelles confucianistes sont plus compatibles avec celles des pays musulmans que les séries américaines. Le soap est bien présent dans ces dramas, sous toutes ses formes.
Énorme succès en Asie, Boys Over Flowers (la version la plus connue est la Coréenne, troisième remake de la série originale taïwanaise, elle-même adaptée d’un manga japonais des années 90) est un teen soap situé dans un lycée huppé. Une jeune fille y affronte les 4F, une bande de garçons très beaux, très riches, et très arrogants, comme si Chuck Bass de Gossip Girl avait été cloné trois fois. Évidemment, elle va tomber amoureuse de l’un d’entre eux...

BJ Song, producteur, président de Group8 explique : "Un drama coréen est très réel. Les acteurs ne sur-jouent pas comme dans les séries japonaises. Il n’y a pas de sexe, mais on y voit des baisers : on n’est pas à Bollywood ! Et, comme dans la vie quotidienne, il y a des adultères, de la prostitution et des gays. Eh bien, nous pouvons en parler aussi. Et nous le faisons."

Autre institution du soap mondial, le feuilleton du Ramadan. Le soir venu, après l'Iftar (rupture du jeûne), le monde arabe se rassemble pour suivre ces feuilletons, produits chaque année par dizaines pour l’occasion.

Pour se faire remarquer dans ce marché très concurrentiel, il faut faire parler de soi. Là encore, les sujets sociaux sont un bon moyen d’amener le scandale, que ce soit par conservatisme (les quatre femmes heureuses de partager leur mari polygame de Hag Metwalli), ou progressisme. L’intérêt est que le soap, parce qu’il est une forme de fiction ultra-populaire qui pénètre dans un nombre très vaste de foyers, fait souvent bien plus que refléter l’évolution des mentalités. Il l’accompagne, voire l’amplifie.

L’actualité et la politique irriguent aussi les histoires des feuilletons du Ramadan. Plusieurs ont récemment évoqué dans leurs histoires la corruption chez certains élus, ou encore le thème du terrorisme – et pas, bien évidemment, pour prendre le parti d'Al-Qaïda.

6. Quand le soap envahit les séries

Nous avons dit dans la page consacrée aux soaps américains de prime-time que Dallas avait changé la télévision américaine. Ce n’est pas seulement parce qu’elle a introduit un nouveau genre en soirée, où il allait prospérer jusqu’à nos jours, trente ans plus tard. C’est surtout parce qu’avant Dallas, les dirigeants des grandes chaînes américaines étaient persuadés que le public ne serait pas capable de suivre une série feuilletonnante diffusée sur un rythme hebdomadaire. Les téléspectateurs, pensaient-ils, auraient quasi tout oublié des intrigues après sept jours.

C’est pour cette raison que la première tentative de soap du soir, Peyton Place (1964), était diffusée au rythme curieux de deux ou trois épisodes par semaine.

C’est cela que Dallas va remettre en cause. Loin de regarder l’arrivée du soap en prime-time de haut, les plus importants scénaristes-producteurs de l’époque vont s’en saisir, et trier le bon grain des excès kitchs, pour faire évoluer le média.

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Dès janvier 1981, moins de trois ans après les débuts de Dallas, arrive Hill Street Blues (Capitaine Furillo), création de Steven Bochco et Michael Kozoll. C’est avec elle qu’apparaît la série-feuilleton, c'est-à-dire qu’une dimension de soap, la vie privée à "suivre" des personnages, est intégrée au canevas d’une série policière. L’année suivante, Hôpital St Elsewhere, créée par Joshua Brand et John Falsey, reproduit le même principe avec les séries médicales.

Hill Street Blues et Hôpital St Elsewhere sont le début de la "Quality Television" des années 80, les prototypes de la série moderne. Elles imposent un style narratif plus complexe en reprenant des éléments constitutifs du soap pour les mêler à une structure sérielle classique :

Certaines intrigues feuilletonnent, notamment celles liées aux vies sentimentales des personnages. Hill Street Blues était au départ structurée en arcs de quatre ou cinq épisodes.
Une galerie de personnages est mise en avant, plutôt qu’un héros unique.
Un Univers aspirant à un bien plus grand réalisme est introduit. Ainsi, Hill Street Blues recourt massivement au filmage caméra à l’épaule, un style documentaire qui est une innovation pour l’époque.

A côté de ces évolutions de la narration, on constate aussi, une plus grande fidélité à l’Amérique de l’époque, et un traitement des sujets sociaux. Hill Street Blues est remarquée pour inclure des couples ou des duos professionnels interraciaux, encore excessivement rares à la télévision. Elle n’hésite pas à traiter sur le long terme, et avec subtilité, de thèmes tels que l’alcoolisme, le racisme, la corruption policière. Ce qu’on perçoit aujourd’hui comme des acquis confondants de banalités sont des apports de la quality television et de l’hybridation entre série et soap opera.

Ces innovations, le public américain ne les embrasse pas immédiatement. A ses débuts, Hill Street Blues bat un record dont elle se serait sans doute passée : elle est la série à plus faible audience jamais renouvelée pour une saison 2. Longtemps tenue à bout de bras par la critique (98 nominations aux Emmy en sept saisons), cela lui permettra de s’installer dans la grille de NBC et de gagner peu à peu en audience.

La Loi de Los Angeles, à nouveau créée par Steven Bochco avec Terry Louise Fisher reprend le flambeau de Hill Street Blues et de la case du jeudi à 22h sur NBC à partir de 1986. En navigant autour de la 15ème place des séries les plus regardées, cette série d’avocats contribue à faire pénétrer cette formule nouvelle dans le grand public, alors même qu’elle aussi met énormément l’accent sur des sujets sociaux controversés : avortement, Sida, violences domestiques, homophobie...

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En 1994, cette case horaire est reprise par Urgences, clair descendant de Hôpital St Elsewhere. Dès sa première saison, Urgences devient la deuxième série la plus regardée aux États-Unis, avant de prendre la première place l’année suivante. La série-feuilleton est devenue mainstream. Dix ans après son commencement, ce qui était un pari d’image pour NBC est devenu un énorme succès commercial.
Le soap médical n’a pourtant rien perdu en matière de réalisme social. Avec pertinence, il interroge l’Amérique moderne en racontant l’histoire de ce service d’urgence d’un hôpital public qui accueille toute la misère de Chicago, et les dommages collatéraux des guerres de gang...

A partir de là, plus grand-chose n’arrête la série-feuilleton, et l’anomalie devient la série aux épisodes entièrement bouclés. L’hybridation avec le soap ne s’arrête à aucun genre, ni la sitcom avec Friends, ni la science-fiction. Babylon 5 applique au space-opera télévisuel à la Star Trek la recette Hill Street Blues. Et, à bien des égards, la mythologie de X-Files est un vaste soap : elle en reprend un des principaux thèmes, le conflit de générations. Mais cette fois, le secret de famille (un lointain adultère qui entraine une paternité douteuse) est exacerbé par l’invasion des extraterrestres...

Ce processus de récupération et d’anoblissement des structures narratives et des thématiques du soap opera par de grands auteurs de télévision, et ces hybridations avec une multitude de genres, vont aboutir dans les années 2000 à la création de soaps tellement nobles qu’ils en ont perdu leur nom…

7. Années 2000 : le soap noble est un drama

Après cette intense période d’hybridation et de diffusion dans la culture populaire, les années 2000 marquent l’apparition de soaps nobles. Mais ces versions hyper-abouties, "high-art" diraient les américains, rarement appelées ainsi, le terme étant trop péjorativement connoté. Le soap noble est "tout simplement", un drama.

La création d’Alan Ball, Six Feet Under, inaugure le genre en 2001 sur HBO. Ecriture de l’intime et de l’émotion, thématiques de la famille, des différences entre les générations, et de la prise en main de son destin par l’individu, mais aussi l’utilisation des relations amoureuses des personnages comme moteur des intrigues... Sur le plan scénaristique, la série se rattache très facilement à son genre. Y compris à certains de ses excès, comme par exemple avec le retour surprise du personnage de Lily Taylor enceinte en fin de saison 2.

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Néanmoins, il existe deux différences majeures avec les anciens soaps. La première est d’ordre visuel. A bien des égards, le câble américain procède d’une culture cinématographique au moins autant que d’une culture télévisuelle. C’est ce qui permettront à ces productions de légitimer les séries télévisées auprès de certains milieux culturels français, qui les voyaient encore essentiellement comme une sous-culture abrutissante jusqu’à la fin des années 90.
Le style de réalisation des soap nobles des années 2000 tranche donc avec le visuel souvent sommaire des prédécesseurs, tout en champs / contre-champs et usages massif du zoom.

La deuxième différence, c’est le rythme. Le soap quotidien livre 260 épisodes, par an. Le soap hebdomadaire de network au moins 22 – mais la plupart des soaps à succès des années 80 et 90 en produisaient entre 26 et 35. Le soap noble du câble ne doit fournir que 13 épisodes par saison et a une durée de vie bien plus courte : une soixantaine d’épisodes tant pour Six Feet Under que Friday Night Lights.

Évidemment, ce nombre plus faible d’épisodes permet une qualité d’écriture plus constante, de même qu’un meilleur ancrage thématique. C’est le cas dans Six Feet Under, qui traite de la mort et du deuil tout au long de ses 63 épisodes. Une telle ambition thématique n’est pas nouvelle dans le soap : rappelons-nous de Côte ouest, au départ centrée sur le couple à la manière de Scènes de la vie conjugale. Mais ce thème a peu ou prou disparu après la quatrième saison, Côte ouest totalisant 344 épisodes !

La diffusion sur le câble provoque aussi une autre évolution. Le soap de journée reflétait, avec retard, l’évolution de la société. Le soap de soirée l’accompagnait et l’amplifiait. Le soap noble du câble, va pouvoir la devancer, et littéralement provoquer la société américaine.

C’est le cas, par exemple avec la relation homosexuelle très réaliste entre David Fisher et Keith, un policier, dans Six Feet Under. Le couple est même amené à adopter des enfants au fil de la série. Dix ans plus tard, la question de l’ouverture du mariage aux homosexuels fait toujours l’objet d’un débat politique intense aux États-Unis.

De la même manière, le sujet de l’avortement, toujours tabou à la télévision américaine parce qu’il clive profondément, est évité dans la quasi-totalité des séries. Une déplaisante convention veut qu’un personnage qui envisage l’avortement soit victime d’un accident et fasse une fausse-couche.
Friday Night Lights se situe dans la société conservatrice texane. Une intrigue de la quatrième saison voit une jeune lycéenne être victime d’une grossesse non-désirée. Tami Taylor conseille la jeune fille, en lui indiquant toutes ses possibilités, y compris l’avortement, que la jeune fille choisit. C’est assez pour soulever des protestations des conservateurs, que l’on vit en empathie avec ceux qui les subissent (Voir la vidéo).

Le soap noble des années 2000 est essentiellement une production du câble, mais des allers-retours ont lieu avec les chaînes "grand-public". D’ailleurs, Friday Night Lights était au départ une série de NBC, avant d’être sauvée par un accord qui en partageait le financement entre le network et le réseau satellitaire Direct TV.

Desperate Housewives, création de Marc Cherry, s’inspire de Six Feet Under selon son créateur, qui pensait au départ la vendre à une chaîne câblée. De manière intéressante, elle se trouve aussi être une série-somme, sorte de récapitulatif des 25 années de soap opera de prime-time qui l’avaient précédée. Le concept de Desperate Housewives, centré sur des femmes de 30-40 ans d’une banlieue résidentielle aisée est proche de celui de Côte ouest, avec qui il partage d’ailleurs l’actrice Nicollette Sheridan. Dans ses premières saisons, il intégrait aussi une part de teen soap, avec les intrigues de Julie, Zach et d’Andrew, les ados de Wisteria Lane. Le tout traité avec une approche thématique, plus intellectuelle, héritée du câble.

Desperate Housewives ajoutait même un mélange supplémentaire : Marc Cherry et plusieurs de ses scénaristes venant de la sitcom, ils intègrent cette dimension à la série. Ce patchwork est le symbole d’une époque d’hybridation intense, ou les chaînes proposent des fictions de plus en plus sophistiquées pour renouveler l’intérêt du public. Une approche qui n’est pas sans risques, la série high concept ayant tendance à s’essouffler très rapidement.

Hérité de la tradition de l’histoire orale, probablement à peu près aussi ancien que l’Humanité, le soap opera est un genre fondamental de la narration. Il répond à un besoin fondamental universel : apprendre la manière dont d’autres ont affronté leurs problèmes, pour mieux construire sa propre réponse à ceux qu’on affronte soi-même. Désigné sous le nom de soap opera ou non, hybridé avec d’autres formes d’écriture, il a certainement devant lui un avenir aussi long que son passé.
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